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Libre et non libre « à la fois»

Publié le par Van der Schuren

 

C’est un abus de langage que de dire avoir agit de manière singulière, comme s’il y avait des façons normales de se comporter, quand d’autres façons ne nous ressembleraient pas, quelles seraient inauthentiques. Car, par définition, tout acte est de nature singulière, autrement dit unique. Il me ressemble de faire ou de ne pas faire que ça me plaise ou non. C’est bien moi qui suis au centre de ce qui est produit par mon action. En réfléchissant sur ce qui a motivé cet individu à commettre un attentat, on ne trouve rien, aucun signe précurseur. On s’attend à une logique : voyant le comportement on juge. On s’étonne après coup…, comme s’il y avait une continuité, que dis-je, une linéarité définissant chaque être. Si bien que mon interrogation du jour porte sur l’identité et le caractère. Je me demande, espérant ne pas être le seul, comment l’individu que nous sommes peut-il modifier son attitude – non pas uniquement de manière soudaine et imprévisible, mais bien dans le flux d’expériences parcourues tout au long de son parcours d’existence ? Ou encore, si des variations sont opérées à chaque instant, qu’on ne les perçoit pas à l’œil nu, comment cette chaîne de rencontres, simultanées ou presque, nous donne-t-elle à vivre cette suite de moments qui me reviennent en personne, me sont non seulement adressés mais me forcent à être tel que je suis - quasi indépendamment de ma volonté ? En cela, je suis parfaitement libre, dans la même proportion où je ne le suis pas un seul instant. J’incarne cette liberté en fonction de ce qui m’est offert, imposé, infligé de l’intérieur. Alors quelle est cette nature qui me fait un jour naître, un jour disparaître ?

Jamais nous ne reproduirons un mouvement, pas plus qu’il ne soit possible de revenir en arrière et de faire autrement. J’ai beau regretter, approuver, rien n’y fait : j’ai bien était soumis à ce que j’appelle « le temps qui passe et ne reviendra pas ». Quand quelque chose a été fait, et que l’on tente de le reproduire, nous oublions aussitôt qu’en cette fausse reproduction se trouve tout ce que l’on aura accumulé entre ces deux expériences. Quelque chose aura vieilli. Le temps est irréversible, avez-vous remarqué ? On oublie également qu’il aura fallu rassembler toutes les conditions en faveur d’un soi-disant recommencement : ce qui est aussi vain que de gagner la même somme à une cagnotte en rejouant exactement les mêmes numéros. De savoir comment nous rencontrons des situations similaires dans le court de notre existence est un véritable mystère ! Comment un processus de répétition peut-il se mettre en place, afin de reproduire des scénarios de la vie sans y avoir été convié – du moins en apparence ?

De même, on doit encore se tromper lorsque ce sont des points ressemblants qui apparaissent. Je t’ai déjà vu ; j’ai déjà vécu ça ; je l’ai rêvé ; certains ajouterons dans une autre vie ; d’autre dirons que ce sont des prémonitions ; moi j’affirme que rien n’est reproductible, ni pour chacun des instants, ni entre deux sujets, encore moins d’une vie à une autre. Il y a pourtant bien un filet par lequel je passe pour absorber les vibrations de ce monde, à commencer par les propriétés de mon corps. Ce filet ne m’appartient pas, il est à la fois individuel et universel.

Ce n’est pas parce que j’ai un corps humain, qu’une tortue n’éprouve pas des vibrations ayant leur parfaite correspondance. Elles sont simplement vécues de manière différente, ce qui ne veut pas dire qu’elles diffèrent effectivement. Ces différents rythmes sont là, davantage différents selon les instants que vis-à-vis des genres et des espèces. Vous, hommes, n’imaginez pas à quel point vous êtes femmes, chien, loup ; vous, femmes, à quel point vous êtes, homme, vipère, chat, tigre, etc. Je ne suis dorénavant pas libre d’appartenir à cet aspect plutôt qu’à un autre, et ma vie, bien qu’elle en subisse l’affect déterminant, n’en est pas moins appartenant au monde. Je crois ainsi être ce que je suis relativement à mes décisions, il n’en est rien.

Mais pourquoi a-t-on pour de bon cette impression, par exemple où je revis une même scène ? Si rien ne peut se reproduire à l’identique, qu’est-ce qui permettrait d’expliquer mes rencontres, et la façon dont les histoires prennent forme ? Mes pulsions ? Mon caractère ? Si tout cela était compris de l’autre comme ce que ne choisis pas, personne ne m’en voudrait d’avoir eu un geste ou un mot déplacé. On observe le contraire, savoir : tantôt je lui en veux, tantôt je comprends, alors que même ces réactions ne m’appartiennent pas directement. Paradoxe !

Pour le comprendre, il nous faut une lunette macroscopique, voir en grosse lettres chacun des éléments qui constitue l’expérience d’une vie. Prenons pour exemple les lettres d’un alphabet. Chacune est bien distincte pour que l’on entende un son ou qu’une image apparaisse. Reproduisant la même composition que précédemment pour former un mot, ma vie se sera allongée, je ne prononcerai plus le même mot. Toutefois, c’est toujours moi qui en forme la caractéristique. Il y a donc un processus identificatoire tel que, si l’on pousse l’explication un peu plus loin, on observe quelque chose de plus étrange encore. Un style apparaît, inséré dans son milieu naturel.

Rapprocher encore votre lunette en réduisant la focale, et dans ce qui semblait ne souffrir d’aucune symétrie, d’aucune ressemblance, vous y verrez cette même identité. C’est une identité dans l’échange, la réciprocité, pour ne pas dire prise au sein de l’intersubjectivité. Il ne s’agit pas d’attendre qu’il se produise une sorte d’imitation dans les expériences quasi identiques pour en trouver un caractère d’identité : même dans ce qui ne produit aucune équivalence a déjà une signature, en l’occurrence la mienne. Mon sceau !

De pouvoir s’affirmer, vivre ce qui est donné à expérimenter fait intervenir des paramètres qui me débordent et me transpercent. Quand je fais ceci au lieu de cela, il y a forcément des agencements qui me font tendre par là, prenant cette direction-ci plutôt que cette autre, certes. Je sens bien quelles peuvent être les raisons impliquant un changement de direction soudain. J’ignore en partie ce qui me fera changer d’avis, mais je comprends qu’il est préférable d’en modifier certains aspects. Cependant, quel est ce fil continu sur lequel je danse et ne peux que danser ? Tout cela me promène.

Forte est l’envie de croire que je suis déterminé par la conjoncture ou à partir de ma naissance. En réalité, si je suis bien le pantin des circonstances, je suis aussi un être libre à ce plus bas niveau où je deviens une personne à part entière. Cette liberté a-t-elle un commencement, que l’on attribuerait par exemple à un âge où lorsque nous sommes en capacité de prendre des dispositions ? Non. A-t-elle une fin, quand on me jettera en prison ? Non. Ni début, ni fin, elle est une marque de l’existant pour tout ce qui existe, quoi qu’il soit. Je suis pas plus libre que l’oiseau en cage, non pas que cet oiseau ne soit pas privé d’une liberté plus grande ; mais qu’en vertu de ce que je prends pour liberté dans ma propre existence, je suis exactement dans le même cas que ceux que l’on enferme.

Lorsque mes capacités intellectuelles apparaissent, cette liberté s’est déjà exprimée en moi, autrement on ne l’observerait que chez ceux qui en sont pourvus. Or, il ne s’agit pas d’être intelligent pour être plus libre, forte heureusement si l’on regarde notre système politique, essentiellement basé sur le chiffre et l’économie, tirant vers le bas en écartant les prodiges dont est capable l’humanité. Ce n’est pas non plus le comportement de certains, dont le Q.I. frôle un point d’incertitude, qui le justifierait. Inversement, des actes idiots sont perpétrés par absence de réflexion chez les êtres manquant de culture. On tue ! Disons que ce n’est pas le siège de la raison qui déterminerait la grandeur d’une âme. De ce point de vue, une réponse peut surgir à la question de savoir pourquoi ai-je choisi pour sous titre « âme et liberté ».

 

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